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Méthodologie compositionnelle en musiques progressives

Ceci est l’avant propos d’une thèse doctorale en musicologie. Merci de ne pas utiliser ce texte dans quelque publication, et de m’informer si vous utilisez partiellement des données.

Les trois parties dont il est question sont les suivantes:

PREMIER AXE – LA PENSEE PROGRESSIVE THEORIQUE : LE CHEMINEMENT COGNITIF DE LA METHODOLOGIE COMPOSITIONNELLE PROGRESSIVE
DEUXIEME AXE – L’INSTRUMENT DANS LA PENSEE PROGRESSIVE : L’UTILISATION DE L’INSTRUMENT COMME CATALYSTE CREATIF
TROISIEME AXE – DE CODES ET CIRCUITS : L’INFORMATIQUE ET L’ELECTRONIQUE DANS LE MODE DE PENSEE COMPOSITIONNELLE

Le postulat de départ reposait sur une remarque simple : aucun style de musique répertorié dans les bases de données spécialisées n’est défini par un adjectif à consonance spatio-temporelle, linguistiquement plurielle et ouverte à interprétations. Aucun style de musique connu à ce jour ne trouve la définition de tous ses éléments, compositionnels, textuels et philosophiques, dans son appellation. Fondamentalement, l’adjectif descriptif des étiquettes modernes agira comme descriptif de formation (« vocal jazz ») ou comme précision de sous-genre (« noise rock »), ou encore comme élément géographique (« world music », « oriental jazz »). Durant de nombreuses années, notamment depuis l’émergence de ce qui sera défini comme « Net Generation », ou génération Z, les étiquettes musicales se sont multipliées, résultat d’un accès à la musique facilité par Internet et la presse virtuelle. Nos recherches commencent à cette période de révolution des habitudes d’écoute et de découverte.

Acteurs et consommateurs se dirigent vers une hyper-définition du genre. Face à la nouvelle offre musicale, les sous-genres comme instrument de précision pullulent. Les termes « post-noise tech metal » ou « brutal tech deathcore » ne font plus exception dans le paysage descriptif de la presse spécialisée.

Le terme « progressif », cependant, se réserve à un idéal créatif hérité de l’avènement de l’âge d’or du rock progressif : la fin des années 1960. King Crimson, Frank Zappa ou encore Pink Floyd inaugurent le genre avec des sonorités et des idées structurelles s’éloignant des nomenclatures imposées par la musique pop et le rock générique. L’histoire du rock progressif n’est qu’un élément de notre réflexion. Le terme progressif ayant évolué pour atteindre tous types de genres musicaux, de la musique électronique au jazz en passant par le métal ou, ironie d’un inversement idéologique, le punk, premier contre-courant de la pensée progressive.

Durant de nombreuses années, notre intérêt pour la musique progressive a été aiguisé par des faits novateurs : des progrès en lutherie imposés par les exigences grandissantes des musiciens aux innovations informatiques et électroniques, en passant par les ensembles conceptuels que mettaient en avant les groupes progressifs. Cependant, face aux progrès du genre et de ses périphéries, un élément restait constant : la musique progressive n’avait toujours pas de définition commune à tous ses genres.

Comprendre la méthodologie et les techniques inhérentes à ce courant fondamental de la pensée d’après-guerre nous permettra de proposer un essai de définition globale dudit courant ; une définition basée sur l’étude musicologique des genres y appartenant, non sans inclure les dimensions textuelle, informatique et artisanale de l’approche progressive.

Avant d’entamer cette thèse, nos études en didactique des sciences avaient également engendré le questionnement sur la pluralité du terme « progressif ». Les synonymes « ascendant, » « croissant, » « gradué, » « graduel, » ou encore « tempéré » ne sont que la partie formelle du lien comparatif que nous pouvons effectuer au premier abord. Ce qu’il nous semblait judicieux de poursuivre, c’est aussi et surtout l’utilisation du terme pour désigner une pensée progressive, une pensée avant-gardiste, ou des techniques de programmation progressives. L’adjectif est alors utilisé pour désigner l’acceptation de phénomènes de société marginaux voire controversés ou certaines formes de tolérances et de courants de transmission de savoir au sein d’institutions pédagogiques, religieuses ou culturelles. On parle de personnes ou d’institutions progressives. L’extrapolation à la pensée musicale était une étape logique de la contextualisation créative.

Nous avons donc pensé ce travail en trois parties, la première focalisant sur les dimensions philosophiques et théoriques de la prémisse créative. Cela ne signifie pas un élagage de la dimension technique compositionnelle, mais plutôt une étude sur les déclencheurs de l’idée progressive chez les musiciens, puis leur cheminement évolutif méthodologique et technique.

La seconde étape suit la logique de composition, à savoir l’instrument. Comme nous le verrons, les inversions de rôles sont un idéal compositionnel chez un grand nombre de groupes de musiques progressives, pour qui l’instrument joue un rôle prépondérant voire indispensable dans la personnalité musicale. Les avancées en lutherie moderne ont souvent été poussées par des acteurs de ce courant musical, pour être ensuite empruntées et déclinées dans d’autres genres.

Finalement, la dernière étape de tout processus compositionnel concerne l’enregistrement et l’arrangement de post-production. Depuis la démocratisation de l’outil informatique ayant mené à la démocratisation du Home Studio, les techniques d’enregistrement ont considérablement progressé. Les bandes ont laissé place aux disques durs, les multitudes d’amplificateurs à lampes laissant place à des préamplificateurs numériques émulant les sonorités désirées avec plus ou moins de succès. Dans les domaines électroniques et informatiques, des musiciens issus de groupes poussant les limites des sonorités progressives ont participé au bouleversement des conventions en proposant des outils informatiques changeant les mentalités compositionnelles au point de donner à l’impossibilité musicale un statut obsolète. L’impossibilité n’est plus.

Il est de rigueur de mentionner dans cet avant-propos la complexité majeure qui a rendu un certain nombre de recherches auparavant conclues avec succès incomplètes en un temps très réduit : la musique progressive est une entité auto-référentielle constante. La musique progressive n’est pas figée dans le temps. La musique progressive n’est pas seulement progressive sur partition, mais également dans le temps. Alors que la musique baroque, afin de mériter l’appellation « baroque », doit répondre à certains canons de base depuis plus de 300 ans et que la pop-music suit des schémas compositionnels similaires à ceux introduits dans les années 1940, la musique progressive jouit d’une imprévisibilité et d’une progression constantes. De toutes nos analyses structurelles, nous n’avons jamais obtenu de résultats similaires lors de définitions de squelettes compositionnels. Deux œuvres progressives sont deux œuvres différentes. Deux groupes du même sous-genre progressif ont deux sons différents à mêmes instruments. Deux albums du même groupe peuvent appartenir à deux sous-genres différents. Un même groupe peut se voir attribuer deux étiquettes descriptives pour la même œuvre, pour peu que cette œuvre soit proposée avec ou sans chant.

Nous avons considéré la tâche non pas comme un frein mais plutôt comme un challenge, qui a fait de notre étude une composition similairement progressive. Les trois axes de travail ont alors été considérés séparément, toujours avec un fil de complémentarité rédactionnelle simultanée. La rédaction de cette thèse ne s’est donc pas faite de manière linéaire mais en trois axes progressifs, enrichis au fur et à mesure d’un apport de données changeantes à un rythme intensif, mené par une idée de parallélisme technologique moderne.

OYC, Septembre 2012